Maroc
En mars dernier, Echos Communication a été invitée à participer et à contribuer à la 2e édition du Colloque Scientifique International de l’Économie Sociale et Solidaire (CSI’ESS), autour du thème « Le modèle de développement de l’économie sociale et solidaire au Maroc à la lumière des expériences internationales », organisé par le département de la sociologie de la faculté des lettres et des sciences humaines Sais-Fès, au Maroc, et regroupant un ensemble de partenaires régionaux, nationaux et internationaux. Parmi les 13 universités marocaines et 9 universités internationales participantes, Echos Communication était la seule ONG participante en dehors du domaine universitaire.
Dans ce cadre, notre équipe au Maroc est intervenue sur le sujet de la reconnaissance formelle et de la protection sociale pour tous les travailleur·euses de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) au Maroc. L’objectif était de lancer une réflexion multipartite sur le passage du travail informel au travail formel, l’accès à la protection sociale et la reconnaissance des métiers de l’ESS, à la lumière des autres expériences internationales. Le but étant de pouvoir susciter un débat public sur la place des organisations de l’ESS et leur participation à la création de la valeur ajoutée et à la richesse socio-économique du pays, en tant qu’actrices de développement à part entière. Un débat qui cherche à poser des questionnements et trouver des éléments de réponse collectivement.
Chez Echos Communication, nous partons du principe que l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) est un dynamiseur et catalyseur d’activités génératrices de revenus dans les territoires. Les structures de l’ESS (associations, mutuelles, coopératives, entreprises sociales, fondations, syndicats…) portent par essence des valeurs de solidarité dans lesquelles l’implication des citoyens et de la collectivité territoriale sont indissociables.
Ainsi au Maroc, les Collectivités Territoriales (communes, provinces et régions) ont graduellement pris conscience du rôle primordial de l’ESS, en tant que levier et locomotive du développement économique et social des territoires éloignés des grandes zones d’activités économiques marchandes. Cette conscience s’est concrétisée, au fil du temps, par un travail direct avec les structures de l’ESS afin de soutenir leur développement via des politiques dédiées. Les élus locaux ont également pris en charge cette thématique pour déployer des politiques locales de création de valeurs et d’emplois ; des services destinés ont été créés pour ce public cible, souvent coincé dans le secteur informel, ainsi que des mécanismes techniques et financiers pour soutenir les structures d’appui à l’ESS ou plus directement, les porteurs et porteuses de projets sociaux.
C’est donc au niveau local que se joue, aujourd’hui, la création d’un écosystème d’acteurs et d’actrices collaborant sur le thème de l’ESS : un écosystème où les collectivités territoriales jouent un rôle de cheffes de file de la politique locale ESS sur leurs territoires avec les différentes parties prenantes (publiques et privées). Ainsi, cette politique commence par connaître et faire connaître les acteurs et actrices de l’ESS (rencontres, sensibilisations, diagnostic territorial, évènements, communication…). Elle peut aussi choisir d’accompagner leur structuration par un appui financier/technique, des formations, du coaching, des commandes publiques responsables, la création d’espaces d’incubation, un soutien aux structures d’accompagnement (ANAPEC, OFPPT, ODCO, etc.) des acteurs et actrices de l’ESS ou encore, par l’implication directe de la collectivité territoriale dans des entreprises sociales en tant qu’actionnaire (au sens social et solidaire du terme).
Cette posture de cheffe de file dédiée à la collectivité territoriale renforcera le travail important des élu·es en appuyant leur rôle délibératif dans les conseils et leur plaidoyer pour une reconnaissance formelle des organisations de l’ESS. Les élu·es sont des acteurs et actrices clés du développement local pouvant appuyer les projets utiles à différents niveaux de délibération (chambre des députés, chambre des conseillers, conseils régionaux, conseils provinciaux, préfectoraux et communaux) ainsi que des cadres juridiques/politiques de lutte contre les inégalités. Leur intervention s’appuiera également sur les acteur·rices de la société civile dans une démarche de démocratie participative et de collaboration mutuelle. Ce dynamisme collectif permettra de déclencher une réflexion multipartite sur le passage du travail informel au travail formel, l’accès à la protection sociale et la reconnaissance des métiers de l’ESS, et orientera les réflexions pour répondre aux questionnements suivants :
- Y a-t-il un risque dans l’implication des élu·es sur ce thème qui touche les personnes les plus vulnérables ?
- Pourquoi les travailleur·euses de l’ESS préfèrent rester dans le secteur informel ?
- Peut-on concilier ESS et protection sociale ?
- Qu’en est-il des syndicats des travailleur·euses de l’ESS pour défendre leurs droits ?
Ces données présentées par Gautier Brygo, représentant de notre ONG au Maroc depuis 2009, ont permis d’avancer, lors de la tenue du Colloque, et d’apporter certains éléments de réponses à la formalisation et à la reconnaissance des organisations de l’ESS. Notre contribution, mûrie au fil du temps de par notre expérience et expertise dans l’appui à ces structures, se base sur un bon nombre d’années de travail de proximité avec celles-ci. Ainsi, des expériences pilotes ont été présentées comme témoins de l’appui que procure notre ONG aux organisations de l’ESS, dans l’optique de reconnaître leur fort potentiel de contribution comme vecteurs d’évolution socio-économique et actrices de changement dans le cadre du nouveau modèle de développement au Maroc.
Pour rappel, en octobre 2018, le Royaume du Maroc a voté l’entrée en vigueur de la loi spécifique n° 19-12 fixant les conditions de travail et d’emploi des travailleur·euses domestiques. Cela a constitué, pour notre ONG, une occasion de participer à cet effort collectif aux côtés des autorités marocaines et des organisations de la société civile partenaires, en particulier le Réseau Marocain de l’Economie Sociale et Solidaire (REMESS). Cela nous a également permis de proposer, en 2019, un projet à la Région Bruxelles-Capitale dans le cadre de sa coopération avec la Région Rabat Salé Kénitra, qui date de plus de 20 ans. Après l’acceptation du dossier en pleine crise du COVID-19, l’ensemble des partenaires ont relevé un défi de taille qui était d’accompagner plusieurs centaines de personnes ayant une activité souvent informelle, non déclarée, dans les métiers des services à domicile (jardinier·es, aide-ménager·es, gardien·nes, chauffeur·euses, …). Ce travail important a été réalisé en synergie avec les partenaires marocains, les collectivités territoriales – y compris les institutions telles que la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), l’Office de Développement de la Coopération (ODCO), le Ministère du Travail, et d’autres organisations de la société civile marocaine et subsaharienne.
Au total, les actions menées (un Hackathon, des ateliers de formations, des dons de matériels, des stages professionnels et pratiques, des séminaires sur le droit du travail et la protection sociale et des attestations professionnelles) ont permis à plus de 300 bénéficiaires de profiter de ce projet afin de formaliser progressivement leurs activités dans les services à domicile et d’être reconnu·es dans le marché du travail. De plus, l’accès au parcours d’accompagnement était donné, sans distinction, aux personnes migrantes ainsi qu’aux personnes marocaines.
Cette expérience, considérée pilote, a donné l’opportunité d’identifier des mécanismes concrets permettant de généraliser la protection sociale pour toutes et tous, d’augmenter la reconnaissance d’un métier parfois dévalorisé (une compétence sans diplôme souvent) et de pallier à l’ignorance des lois de la part de ce public vulnérable : les Travailleur·euses Domestiques.
La deuxième expérience témoin de la portée de l’ESS sur l’amélioration des conditions de vies des populations vulnérables et la contribution à l’économie, a porté sur le vécu des personnes migrantes au Maroc qui survivent malgré eux grâce à l’ESS et au secteur informel. C’est un chantier lié à l’intégration de toutes et tous, pour ne laisser personne en marge de la société. L’expérience d’associer le secteur privé structuré et de baser la communication sur la compétence (et non pas sur le côté social) est une piste à privilégier pour les personnes vulnérables, à partir du moment où un accompagnement sérieux est mené.
Le partage de ces expériences sert à illustrer que les acteurs et actrices de l’ESS ne doivent pas s’arrêter aux activités génératrices de revenu ou rester dans le secteur informel, et qu’il existe des voies, moyens et mécanismes pour rapprocher ces catégories d’une protection sociale que le Roi Mohammed VI appelle de ses vœux, une protection sociale pour toutes et tous.